à Majadahonda

Un lundi soir de 2015 à Majadahonda, une ville au nord-ouest de Madrid où je retrouvais des musiciens amateurs et professionnels pour une soirée entière de musique de chambre. Nous avons passé 3 heures à faire de la musique ensemble, à massacrer gaiement quelques grands morceaux du répertoire classique: Quintette de Brahms, Quatuor de Mozart, Double concerto de Vivaldi, Trio de Dvorak… tout ce qui nous tombait sous la main, trouvé dans la bibliothèque inépuisable de notre hôte violoniste et médecin qui chaque semaine reçoit ces soirées.

Une connexion sans paroles et sans pareille

Pourquoi je vous raconte cela? Parce que la musique est un puissant vecteur de connexion et d'émotion, et qu'elle me semble sous-exploitée.

Sans parler espagnol et venant d’arriver à Madrid, je ne partage avec ces musiciens espagnols que le langage des notes. Or il a suffit de quelques partitions et de quelques accords pour s'écouter, partager, se connecter, rire, s'émouvoir, vibrer…. quelques notes pour enclencher la connexion et la complicité.

Et avec à la clé, non pas un léger sentiment de satisfaction, une fugace sensation de plaisir, non : une lame de fond de joie profonde, continue, puissante!

Mais d'où vient cette joie ?

- de la conviction qu'elle se trouve partout, telle une rivière aurifère dont il nous appartient de puiser chaque pépite

- de la capacité à laisser le jugement au vestiaire : il me semble que la joie se cache quand apparaissent l'ironie, le sarcasme ou le jugement, alors le temps d'une soirée on les laisse de côté. Bien sûr que nous ne sommes pas des musiciens vedettes, bien sûr que ces morceaux mériteraient une meilleure interprétation ou davantage de préparation, oui, sans doute, Brahms se retourne dans sa tombe…. et alors ?

- de l'imprévu : jouer un morceau que je n'avais plus entendu depuis quinze ans, découvrir une nouvelle page de musique, discuter avec un chanteur espagnol et lui donner un cours improvisé de diction en français pour ses airs de Poulenc : tout ce qui n'était pas prévu est exactement ce pour quoi j'étais venue !

- du corps, qui entre tout entier en jeu dans la pratique d'un instrument : l'oreille, la vue, le toucher, les battements cardiaques, la respiration, le temps d'un morceau le corps se met au diapason du violon, des autres musiciens et du compositeur… connexion à soi, aux autres, à ceux qui ont été et à ceux qui demain interpréteront aussi le même morceau que moi maintenant. Connexion à tous les étages.

Et quand on ne sait pas jouer d'un instrument ?

Comme le démontre joliment Benjamin Zander dans sa conférence TED, la musique nous touche et nous parle directement, y compris quand on n’a jamais fait de solfège ou appris un instrument. Et se laisser émouvoir ne nécessite aucune compétence particulière.

Ce concerto de Dvorak pour violoncelle, ci-dessous, est bouleversant ! Et il n'est pas nécessaire d'analyser la musique ni d’avoir fait des années de conservatoire pour être ému… de même qu’il n’est pas nécessaire de décortiquer l’émotion ou même de mettre des mots dessus. Juste la sentir, la vivre, vibrer avec elle un moment.

Vous remarquez comme Yo Yo Ma lui-même semble ému ? Et l’orchestre ? Le public n'a pas pu résister à l'élan d'applaudir à tout rompre dès la fin du deuxième mouvement sans attendre la suite (4’06’’), et Yo-Yo Ma n'y voit aucun problème. Pas de snobisme ou de codes de conduite dans ces élans, juste de l'émotion pure !

La suite, si vous avez envie… et si vous avez 9 minutes de plus:

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Le son de l’innovation