L’Art de l'écoute

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Un matin d’avril à la Maison du Barreau, j'avais eu la joie et le privilège de parler d'écoute à 350 avocats venus participer à la "Journée du Bonheur" (seriously?) du Barreau de Paris.

Équilibrer la puissance de l'écoute et la puissance de la parole, explorer les effets des sons sur nos cerveaux et sur notre humeur, ou encore comprendre l'intérêt de s'écouter soi-même autant que l'on écoute les autres.... ces thèmes ont semblé trouver écho chez nos experts de la parole.

Préambule

Un préambule en contre-pied du thème de la journée : Ecouter présente de sacrés risques !

Perte de temps, envahissement par des fâcheux, possibilité d'être affecté - voire même très durablement - par ce qui est dit, sentiment d'injustice lorsqu'on écoute davantage qu'on n'est écouté, impression de perdre des points dans le débat lorsqu'on n'argumente pas .... la liste des désagréments potentiels est longue.

Donc lorsque l'on n'écoute pas, je crois que ce n'est pas faute de compétence d'écoute.... mais plutôt pour se protéger des éventuels effets indésirables.

L'impact de l'écoute

A l'opposé, il y a évidemment des bénéfices à aller chercher :

L'écoute a une puissance inouïe, qui peut être explorée et apprivoisée au même titre que la puissance de la parole. Les neurosciences démontrent actuellement la production de neurotransmetteurs par le cerveau sous l'effet de certaines musiques et sons : dopamine, endorphines, sérotonine, adrénaline...

On peut donc modifier très sensiblement notre humeur, notre rythme cardiaque, notre niveau d'énergie et notre motivation en agissant sur ce que nous écoutons!
Voir les travaux de Robert Zatorre et Anne Blood (Montreal Neurological Institute), Hervé Platel (Inserm), Daniel Levitin (McGill) à ce sujet.

 D’abord s’accorder

Le temps de "l'accord", essentiel pour un musicien, peut être appliqué dans bien d'autres domaines que la musique. Un comité de direction que j'ai accompagné en coaching d'équipe a ainsi mis en place un temps de silence avant le démarrage de leurs réunions pour "s'accorder", afin que chacun puisse s'extraire mentalement des sujets précédents, des emails et téléphones, pour se connecter aux personnes autour de la table et se mettre dans l'état d'esprit d'une coopération réelle avec ses pairs.

Développer une triple écoute

Il me semble que 3 niveaux interviennent dans l'écoute d'un musicien, et que le lien peut être fait avec beaucoup d'autres domaines professionnels. Prenons l'exemple d'un violoniste d'orchestre :

- en permanence, il est capable de s'écouter lui-même et d'écouter son instrument pour en tirer le son le plus plein et harmonieux possible

- il écoute également les autres violons, pour que l'ensemble soit cohérent et homogène

-et enfin, il écoute le reste de l'orchestre pour comprendre la construction de l’œuvre, le sens de ce qu'il est en train de jouer et dans quoi cela s'inscrit. Et il écoute aussi le public pour capter ce qu'il dégage et percevoir un peu de ce qu'il est venu chercher ce soir-là avec cet orchestre-là.

La puissance d'un musicien ou d'un groupe de musiciens dépend en grande partie de la coexistence de ces trois niveaux d'écoutes qui s’enrichissent mutuellement, et de l'ajustement continu entre ce que le musicien écoute et la façon dont il s'y adapte. Lorsque ces niveaux d’écoute et leurs ajustements sont fluides et que l’orchestre peut donner le meilleur de lui-même, cela produit des "moments de grâce" et des sensations extrêmement forts.

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Les ingrédients essentiels de l'écoute

Un exercice pour explorer les ingrédients d'une écoute intense :

Se plonger dans le souvenir d'un moment où vous vous êtes senti(e) particulièrement bien écouté(e). Vous parliez, et la personne en face de vous écoutait avec une telle intensité que vous vous en souvenez encore aujourd'hui.

Plongez-vous dans ce moment, en musique, en vous posant la question suivante: "quels étaient les ingrédients de cette écoute ?"

Les ingrédients trouvés collectivement par 350 avocats du Barreau de Paris pendant cette conférence résument bien ce qui compose une vraie écoute :

- le silence

- la présence attentive, complète, sans distraction

- l'attention totale, y compris à ce qui n'est pas dit, aux émotions sous-jacentes et aux besoins

- l'Amour, au sens large

- l'absence de jugement

Et vous, comment l'intensité de votre écoute pourrait changer votre parole?"

Le bien-être est directement corrélé à l’attention que l’on porte à ce que l’on fait, pendant qu’on le fait.

Lors de cette journée, j’ai aussi eu la chance d’écouter la conférence de Christophe André, en étant cette fois-ci bien confortablement installée dans un fauteuil de l'auditoire.

Ce que je retiens de son intervention riche et vivifiante :

• nos cerveaux ne sont pas programmés pour résister aux traitements auxquels ils sont exposés actuellement : pléthore de sollicitations, interruptions fréquentes, multi-tasking, action non-stop.

Donc il faut les "muscler" pour les rendre capables de se défendre, un peu comme l'on apprend à se discipliner devant les tentations alimentaires (Recherches basées sur l'expérience des rats de cafétéria). Entre autres par la méditation.

• Le bien-être est directement corrélé à l'attention que l'on porte à ce que l'on fait, pendant qu'on le fait. (Etude "A wandering Mind is an unhappy Mind")

• Ne rien faire est un magnifique cadeau pour le cerveau, et constitue un nid pour la créativité, l'intuition, la récupération... (Etude "Rest is not Idleness")

• Notre cerveau retient beaucoup mieux les émotions négatives que les émotions positives, et a une tendance naturelle à les ressasser. Pour contrebalancer cette programmation de survie, il est utile d'apprendre à ressasser le positif, en se remémorant chaque soir trois éléments agréables de la journée, pour résoudre l’équation "bonheur = bien-être + conscience"

L’art de l’écoute pourrait donc consister à prêter l’oreille aux phénomènes intérieurs comme aux phénomènes extérieurs, pour les faire dialoguer en bonne entente…

Non, il ne s’agit pas de “s’écouter parler” ni de se complaire dans des monologues enflammés, mais plutôt d’ajuster en permanence ce que l’on dit à ce que l’on perçoit, en soi et en dehors de soi, et en laissant l’orgueil de côté.

Dans une séance de coaching, je crois que ce sont les silences entre les questions et les réponses qui me permettent de faire ces ajustements et d’entendre les mots résonner et faire leur chemin, chez moi et chez mon client. Et vous, comment faites-vous vos ajustements entre les différents niveaux d’écoute ?

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