Le rôle du silence

Il n’existe pas de silence absolu. Il se produit toujours quelque chose qui émet un son.
— John Cage

Combien de sons pourrez-vous entendre pendant cet étonnant “morceau de musique” ? 4'33 '' de John Cage.

L’intention du compositeur est de nous faire comprendre, à travers cette oeuvre, qu'il n'existe pas de réel silence. Après avoir visité la chambre sourde de l'Université d’Harvard, il s'est rendu compte que même là, ce qu'il entendait n'était pas le silence mais son propre cœur, la circulation sanguine et la respiration. Il a composé ce morceau pour souligner ce «non-silence».

Pourtant le silence existe bien, entre le “silence de mort”, le “silence assourdissant” (Albert Camus, La Chute) ou le “Silence! On tourne”, il y a une large palette de silences que l’on va tenter ici de répertorier pour mieux saisir son rôle et notre relation avec lui.

Le silence paisible

Celui des matins calmes, quand il est encore très tôt et que la ville est endormie, celui des paysages magnifiques au lever du soleil, celui de la contemplation. Dans ce silence-là, il n’y a pas ou peu de tension, le silence est là parce que les mots sont superflus et parce que le calme ambiant est contagieux et qu’on le savoure, seul ou à plusieurs.

Le silence intense

Celui qui suit les dernières notes d’une musique sublime, dans une salle de concert pleine à craquer qui retient quelques secondes de plus ses applaudissements car le chef d’orchestre n’a pas encore baissé les bras… Silence intense, chargé de toutes les émotions par lesquelles nous sommes passés, individuellement et collectivement. Le silence qui suit un discours particulièrement fort, devant lequel on reste sans voix, avec la sensation que les mots prononcés n’ont pas fini de résonner en nous.

Le silence posé

Celui que l’on pose volontairement, pour prendre le temps de la réflexion. Celui que l’on crée entre deux phrases pour donner plus de sens aux mots qui sont prononcés, ou pour donner la possibilité à l’interlocuteur de contribuer, ajouter, nuancer. Celui que les musiciens connaissent bien car c’est dans ce silence que les notes prennent tout leur sens et jouent leurs résonances.

Le silence oppressant

Celui-ci est chargé émotionnellement, mais d’émotions qui n’ont pas circulé, dans lesquelles il manque le mouvement, la direction et le lien. A la différence du silence intense, les mots n’ont pas été dits, ou ils n’ont pas été entendus, ou ils n’ont pas été transformés. Bref, ils pèsent lourds dans les coeurs et les corps et cela se sent. Le silence oppressant est tellement tendu qu’il ne demande qu’à être rompu… même par un couac s’il le faut.

Le silence embarrassé

Embarrassé parce que c’est le silence de la timidité, des mots que l’on aimerait dire mais on n’ose pas, on hésite. Celui-ci, on aimerait bien le rompre, mais on ne sait pas comment, alors on attend, et ce n’est pas si grave, cela ne pèse pas si lourd. Le premier qui le rompt libère l’énergie d’un coup, alors on se surprend à rire un peu trop fort, à réagir un peu bêtement. Mais ça fait du bien car il manquait les mots pour se lier.

Chacun de ces silences est une forme de communication à part entière, et comme en musique, ils permettent de redonner du souffle et du rythme, indispensables à nos échanges : “Le système entier du langage parlé s'écroulerait si l'homme était incapable à la fois d'enregistrer et de créer des séquences de signes constituées en unités silence/son/silence. En d'autres termes, les signes du langage prennent une signification de par leur interdépendance avec les silences obligatoires.” Le silence dans la communication - Thomas J. Bruneau, traduit par Francine Achaz.

Mais savons-nous jouer du silence comme nous savons jouer du langage?

Quels sont les souvenirs qui vous reviennent dans les différents types de silences? Comment vous êtes-vous sentis, pendant et après? Si c’était à refaire, que changeriez-vous?

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