Bâtir son écosystème

Quand on observe la façon dont les nouveaux courants artistiques se créent, on constate qu’il y a souvent un écosystème entier qui a permis son émergence et stimulé la créativité de ses membres.

Dans l’histoire de la musique classique par exemple, l’école de Vienne à la fin du XVIIIème siècle a vu naître des compositeurs majeurs : Haydn, Mozart, Beethoven et Schubert, qui ont composé des milliers d’oeuvres magistrales dans un même rayon géographique de quelques kilomètres carrés, sous le même ciel, lisant les mêmes journaux du matin, parlant la même langue et célébrant leurs mariages dans la même cathédrale Saint-Etienne. Ils ont bénéficié d’une énergie et d’une stimulation unique en son genre, faite de mécènes célèbres comme les Princes Esterhazy qui ont apporté leur soutien financier aux musiciens et compositeurs, des innovations instrumentales comme le piano forte qui a stimulé l’imagination et la créativité, et une indéniable émulation entre pairs… frôlant parfois la compétition et la rivalité si l’on pense à Mozart et Salieri.

En somme, cet écosystème était fait de personnalités diverses, d’émulation, d’innovations techniques, de soutien financier, et d’une société viennoise avide d’arts. Vienne devenait ainsi le pôle d’attraction de tous les musiciens, compositeurs et mélomanes de l’époque, quelles que soient leur nationalité et leur culture musicale, mais également d’architectes, peintres et inventeurs qui ont intensifé la stimulation et la créativité pour les compositeurs viennois. Un cercle vertueux, en somme.

En entreprise, comment favoriser des écosystèmes aussi fructueux et marquants que l’Ecole de Vienne ? Ou à l’échelle plus individuelle, comment bâtir autour de soi les conditions de sa propre créativité et de sa réussite ?

1 - Choisir son terrain

La première étape est probablement de choisir le terrain que l’on souhaite travailler et faire fructifier : un domaine artistique, scientifique, un centre d’intérêt ou un talent particulier…. voire un nouveau produit ou service dont on pense qu’il pourrait un jour connaître des développements importants. Idéalement, le terrain est aussi un domaine dans lequel on éprouve du plaisir à investiguer et passer du temps, car un écosystème met du temps à se mettre en place et à se développer, et toutes ses ramifications ne donnent pas nécessairement des résultats ! Choisir son terrain revient un peu à avoir l’état d’esprit du chercheur qui suit une idée sans nécessairement savoir si elle aboutira ni si elle sera utile à quelque chose, mais qui prend du plaisir dans la recherche elle-même.

2 - Cultiver la diversité

Chercher à rencontrer de nouvelles personnes, dans des domaines que l’on ne connaît pas, pour élargir le terrain et ne pas le cantonner à une seule discipline. Dans un autre écosystème viennois, la “Seconde Ecole de Vienne” entre 1908 et 192, les compositeurs Arnold Schönberg, Alban Berg et Anton Webern ont réinventé totalement les principes fondateurs de la composition musicale. Mais leur influence est allée bien au-delà de la musique, comme l’explique Dominique Jameux dans son ouvrage L’école de Vienne : “Au commencement du XXe siècle, en un intense bouillonnement se sont jetées à Vienne les bases de notre modernité. Freud et Schnitzler, Loos et Klimt, Kraus et Kokoschka, tant d'autres, des artistes, des écrivains, des penseurs, des agitateurs d'idées ont constitué l'étonnant terreau d'une sensibilité portée à la novation, prophétique en Europe.”

Et pour cultiver la diversité, un des ingrédients essentiels est le temps, notamment le temps que l’on consacre à des taches non productive, ou sans objectif pré-déterminé. Dans certaines entreprises, les salariés consacrent 20% de leur temps de travail à autre chose qu’à leur mission principale. Prendre du temps pour une passion, un centre d’intérêt, faire des rencontres variées : c’est dans ces 20% que les idées s’épanouissent et que les écosystèmes se développent.

3 - Stimuler

L’émulation, créée par la simple présence simultanée de nombreux talents et idées dans un même lieu, est un élément clé de l’écosystème, qui lui permet de stimuler la créativité et les réalisations. Et si parfois elle frôle la compétition, ou la “coopétition” pour reprendre un néologisme souvent utilisé dans les entreprises, cela signifie que l’émulation est vivante, mouvante. Si en revanche il n’y a pas le moindre signe de compétition, il est possible que l’émulation soit un peu endormie et que certains pans de créativité soient perdus. Dans ce cas, il s’agit de faire entrer de nouveaux talents, ou de la diversité et du défi.

4 - Entretenir (et accepter) le mouvement

Un écosystème n’est pas une machine mais un organisme vivant, en mouvement permanent, dont certains éléments meurent pendant que d’autres naissent. Le défi est probablement d’arriver à accepter et accompagner ce mouvement permanent, en ne cherchant pas à figer et retenir le moment où tout semble fonctionner à merveille, ou à retrouver des conditions antérieures qui semblaient plus fructueuses. Et si les terres agricoles ont besoin de périodes de jachères, les écosystèmes ont probablement aussi leurs périodes de repos, propices aux récoltes ultérieures.

Quels écosystèmes existent autour de vous ? Comment fonctionne le vôtre ? Quel est celui que vous aimeriez créer ? Et par quoi commenceriez-vous ?

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