Inspiration sur commande

L’art naît de contrainte, vit de lutte, meurt de liberté.
— André Gide

Il y a une époque où je pensais que les oeuvres d’art commandées par des mécènes “valaient” moins que les oeuvres d’art issues purement de l’inspiration de l’artiste. Je séparais l’inspiration de la commande, et avais tendance à dévaluer l’inspiration si elle était liée à une commande rémunérée. Comme si l’art et l’inspiration devaient être exempts de toute influence ou contrainte pour être purs. Double erreur.

Non seulement l’inspiration peut parfaitement trouver sa source et son élan dans une commande : certaines œuvres sublimes n’auraient jamais existé sans une commande à l’origine. Mais en plus, les contraintes exercées sur l’artiste, en termes de budget, de temps, de thème et de périmètre font avancer et progresser l’artiste probablement plus loin que s’il devait compter sur les seules auto-motivation et auto-exigence artistique. Mozart a composé sa Messe du Couronnement en 6 semaines, pour répondre à la demande de l'Archevêque de Salzbourg Colloredo qui avait besoin d’une œuvre musicale de moins de 45 min pour la messe de Pâques du 4 avril 1779.

Bien entendu, cela ne signifie pas qu’il ne peut pas y avoir d’inspiration sans commande. Schubert composait ses chefs-d’œuvre sans mécène, et malgré sa mort prématurée à 31 ans, a laissé derrière lui plus de 1000 compositions extrêmement variées et novatrices : un coup d’œil sur le catalogue de ses œuvres donne une sensation vertigineuse de profusion et de créativité.

Il a composé ses premiers quatuors à cordes pour l’ensemble familial : deux de ses frères au violon, son père au violoncelle et lui-même à l’alto. A-t-il trouvé dans ces premières expériences une forme de contrainte créatrice ? Une forme de mécénat familial ? Car le lien entre inspiration et commande est probablement un dosage à trouver, très personnel, entre la liberté ou les “autorisations” dont on a besoin et les contraintes qui cadrent et guident notre travail.

Ici le sublime mouvement lent du Quintet en do majeur :

Et lorsqu’il y a un mécène extérieur, il est intéressant de se pencher sur le rôle que le compositeur lui attribue et sur la relation qui se noue entre eux.

A propos de Jean-Sébastien Bach, on peut lire : “En décembre 1717, Bach prend ses nouvelles fonctions de Kapellmeister du Prince Leopold d'Anhalt- Köthen et directeur de sa musique de chambre. Il a à peine 32 ans et il occupe un poste prestigieux au service d'un "gracieux souverain qui non seulement aimait la musique, mais la connaissait...". Ce poste, qui double son salaire, vient avec de nombreuses responsabilités quant aux activités musicales de la cour. Non seulement il compose, mais il est responsable de l'exécution des oeuvres, de l'organisation des concerts, du recrutement des musiciens, etc. Les sept années qu'il passe à la cour de Köthen sont parmi les plus heureuses de sa vie. Grand amateur de musique, le prince dispose d'un orchestre de 18 musiciens virtuoses : outre les cordes, Bach dispose de flûtes à bec, de flûtes traversières, de hautbois, de bassons et de trompettes, sans compter les percussions. Plus qu'un employeur, le prince Leopold est un mécène éclairé et voue à son Kapellmeister une chaude amitié. Pour l'une des rares fois dans sa vie, Bach goûte une liberté créative sans entraves.”

Ses suites pour violoncelle solo sont composées dans cette période-là.

La différence entre un rêve et un projet, c’est une date.
— Walt Disney

En définitive, l’inspiration et la commande sont étroitement liées, et lorsqu’il n’y a pas de mécène extérieur ou lorsque ce mécène n’est pas suffisamment aidant, il s’agit peut-être de se construire un “mécène intérieur” ou de choisir une personne bienveillante et stimulante qui pourrait jouer le pygmalion afin que nos ressources créatives se matérialisent en œuvres tangibles.

En tant que dirigeants, cadres ou entrepreneurs, comment pourriez-vous devenir les mécènes de vos salariés ? Quelles formes de liberté permettraient de libérer leurs talents créatifs, et quelles contraintes choisissez-vous pour stimuler leur créativité sans l’entraver ?

Mais avant toutes choses, comment pourriez-vous être votre propre meilleur mécène ? Et de quels autres mécènes bienveillants et stimulants pourriez-vous vous entourer ?

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