Finir en beauté

La fin justifie les moyens ? Cela est possible. Mais qui justifiera la fin ?
— Albert Camus, L'Homme révolté, 1951
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L’expression “finir en beauté” a un joli goût de victoire. Elle semble prolonger la fin et lui donner accès à une forme d’éternité. Lorsque l’on “finit en beauté”, il y a quelque chose de nous qui perdure après la fin.

En musique, les derniers accords d’un morceau de musique se prolongent quelques temps encore, suspendus dans l’air avant que les applaudissements les cueillent. Et comme les dernières notes résonnent encore longtemps après qu’elles ont été jouées, les musiciens y accordent une importance toute particulière. Il arrive que l’on commence certaines répétitions en se concentrant uniquement sur les dernières mesures. Pour les travailler encore et encore, améliorer le son, la précision, l’équilibre. Pour donner toute leur résonance aux dernières notes, et finir en beauté.

Je parle ici plutôt de musique classique, car il se trouve que dans les courants artistiques tels que le rock, le rap ou la pop, la fin consiste souvent en une simple diminution du volume, sans véritable accord final, et parfois ce sont les auditeurs qui passent à la chanson suivante sans avoir entendu les dernières notes, comme si l’on n’avait pas le temps d’aller jusqu’au bout, pressés et boulimiques que nous sommes… sauf lorsqu’il s’agit d’un concert live, où chaque fin de chanson compte !

Dans l’entreprise, un peu comme dans le rock, j’ai l’impression que l’on accorde moins d’attention à la fin qu’au commencement : la fin d’un discours, la fin d’un projet, la fin d’une équipe-projet, la fin d’un contrat. Concentrés sur l’accomplissement d’une tache ou la réalisation d’un projet, nous oublions parfois que les dernières notes se prolongent longtemps après qu’elles ont été jouées. Et le rythme de succession des projets et de lancement des produits et services fait que l’on est déjà totalement engagé dans le projet suivant tandis que le précédent est en train de finir.

Alors inspirons-nous un instant du travail des musiciens et commençons par la fin: sur votre projet actuel, qu’aimeriez-vous laisser comme trace lorsqu’il sera terminé? Quel sera votre discours de fin de projet? Ou s’il s’agit de votre parcours professionnel entier, quel sera votre discours de départ à la retraite?

Cette idée de la fin peut parfois être très inconfortable : se lancer dans un projet en pensant déjà à sa fin ou démarrer une relation en imaginant déjà la rupture, cela semble aussi peu naturel que de songer à la mort lorsque la vie commence à peine. Et c’est peut-être pour cela que l’on se penche finalement peu sur la fin: éviter la question existentielle de la finitude, oublier que tout a une fin.

Pourtant cette question est particulièrement riche : elle invite à se concentrer sur l’essentiel pour le faire sonner le mieux possible, et à faire la chasse au superflu et aux gestes parasites pour que rien ne fasse obstacle aux résonances. Donc il est fort possible que dans ce travail sur la fin et sur l’essentiel, on trouve aussi des clés pour augmenter la clarté et la puissance de l’ensemble du projet !

Une fois n’est pas coutume : il y a une fin récente qui a été particulièrement étudiée, préparée et mise en scène : celle du groupe Daft Punk, dans cette video postée sans autre commentaire le 22.02.2021.

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